Ayant découvert les films Bollywood de plein
fouet depuis que mon épicier pakistanais m’en abreuve abondamment, j’ai
su apprécier les charmes musqués de cette cinématographie hors norme, au
premier degré implacable et souvent bouleversant (si, si, j’ai pleuré à
la fin de Devdas ou de La Famille Indienne…). Sous des
dehors faussement hermétiques, qui enjoignent facilement à la moquerie
le spectateur occidental peu habitué au déballage sentimental abusif,
aux quiproquos joliment téléphonés et autres séductions courues
d’avance, Bollywood se permet les mêmes mutations esthétiques que le
reste du monde, renouvelle régulièrement ses façons de filmer,
transcende sa naïveté apparente par le souci prégnant de combler son
auditoire avant tout. Mais je ne vais pas vous parler du bon cinéma
indien, vous vous en doutez, bande de fourbes.
Après avoir fait le tour des principales actrices indiennes du moment, je demandais à mon épicier de me dégotter d'autres films avec Sunny Deol, demi-dieu du film d’action made in Bollywood, un bloc de charisme synthétisant virilité, tendresse, justice, droiture et un regard de fauve mutin séducteur de donzelles peu farouches (et par ailleurs grand frère de Bobby Deol, incroyable héros du non moins incroyable Kranti). Une fois de plus, mon Pakistanais me comblait de bonheur en me ramenant un DVD indien "3 en 1", trois films sur le même DVD pour plus de neuf heures de projection sur le même support…
Le premier, Jaal : The Trap, se laissait voir sans déplaisir, le second, Gadar, s’est même avéré assez impressionnant par moments, Sunny Deol se révélant souvent émouvant. Mais le morceau de choix, le rosbif saignant de cet improbable objet dont mon lecteur ne devait jamais se remettre fut bel et bien le dernier, que je me gardais pour la fin à la seule lecture de son titre chatoyant. The Hero : Love Tory of a Spy (eh oui, le "s" de story est oublié sur la jaquette…). Mais avant tout, un petit récapitulatif historique s'impose.
Sunny Deol, du charisme comme s'il en pleuvait.
Sunny Deol s’est donc impatronisé au box-office indien comme l’action star par excellence, compensant ses "carences" d’acteur (il ne sait pas danser) par son impassibilité face aux crimes sournois ourdis par les terroristes du monde entier. Car après avoir été révélé comme jeune premier colérique contre la société qu’elle est pas jolie-jolie dans son premier film, Sunny s’est fait le chantre d’un ultra-nationalisme exprimé sur grand écran avec le manque de grâce caractérisant généralement les patriotes zélés. Maa Tujhe Salaam, Indian, Shaheed, autant de titres dans lesquels mister Deol sauve son pays quasiment à lui tout seul. Après le succès de Gadar, fresque amoureuse sur fond de guerre inspirée d’une histoire vraie, Sunny Deol et son réalisateur Anil Sharmas enclenchent une énorme machine, annoncée comme le plus gros budget jamais alloué à une production Bollywood. Boosté aux hormones patriotiques, cet impensable blockbuster indien débarque sur les écrans et se fait lapider par la critique, tandis que le public se bouge mollement par rapport à l'investissement (il fera moins l'unanimité que Gadar), qui ne saute d'ailleurs pas vraiment aux yeux… Bref, résumons.
Arjun est la crème de la crème des agents secrets indiens, passé maître dans l'art du déguisement habile (ce qui fait qu'à part le spectateur, personne ne le reconnaît lorsqu'il change de perruque et qu'il met des lunettes). Après avoir déjoué le sordide complot d'un terroriste pakistanais super nul, il décide d'aller prendre la température au Cachemire, voir où en sont les fondamentalistes islamistes prônant l'indépendance. Sur place, nanti de deux sidekicks comiques sous-exploités, il tombe bien vite amoureux de Reshma, bergère locale tenant dans ses bras un adorable agneau.
Une rencontre bucolique à la frontière du Cachemire.
Pour faire naître la tension dramatique qui s'était enfuie à toutes jambes, les deux amants platoniques décident d'envoyer Reshma en planque chez un présumé terroriste, comme femme de chambre. Après un entraînement sommaire à la GI Jane, Reshma la bergère court se jeter dans la gueule du loup.
Lorsque l'homme est derrière la femme, celle-ci vise mieux.
Elle est assez vite démasquée, avant de disparaître dans une explosion flanquée d'un exquis ralenti. Ni une ni deux, après avoir contenu ses larmes en crispant le visage, Arjun débarque dans le repaire du bad guy où il dégomme tout ce qui bouge quasi à lui tout seul. Ce qui lui permet de récupérer une disquette dévoilant les plans machiavéliques des méchants terroristes : fabriquer une bombe nucléaire avec des composants venus d'un peu partout.
Arjun est super vénèr'.
Au bout de quelques jours, l'ordinateur central des services secrets indiens décode les anagrammes savants de la disquette (le mot Canada était habilement remplacé par un énigmatique Anacad). Arjun change de nouveau d'identité et entre dans l'intimité du mécène de l'opération, un industriel dénommé Zakarias, intouchable du fait qu'il reverse régulièrement des fonds pour les enfants canadiens malades du cancer. Arjun se décolore les cheveux, se laisse pousser la moustache et les lunettes et devient Wahid, boyfriend de la fille de Zakarias spécialiste en énergie nucléaire. Au cours d'une scène dansée, il propose ses services aux bad guys et se prépare à épouser la fille de Zakarias.
Arjun profite d'une soirée pour proposer ses services aux terroristes (et pour emballer sévère).
Ce qu'il ignore, c'est que Reshma a survécu à l'explosion en s'accrochant à un rondin sur une rivière, et que son infirmière n'est autre que sa future épouse ! Démasqué lors dudit mariage, alors qu'il revoit sa bien-aimée, il est jeté comme un malpropre par la fenêtre. Mais comme c'est un super agent, il survit à sa chute de cent mètres et part régler tout ça manu militari…
Un art du déguisement à toute épreuve.
The Hero se targue de ce premier degré à tout crin caractéristique des productions Bollywood, pour sombrer dans un marasme des plus hilarants, notamment en ce qui concerne le background politique. Il faut voir les soldats indiens arriver au Cachemire en début de film, accueillis en chanson par un enfant sautant sur place pour faire honneur aux libérateurs… Les Pakistanais, à l'exception d'un grand dadais amoureux de Reshma, sont tous des pourris aux raisonnements simplistes, ce qui explique entre autres leur manque flagrant d'organisation (au bout de plusieurs mois de complots, Zakarias décide de ne plus acheter la bombe mais de la fabriquer – et ses sbires d'éclater d'un gros rire sardonique à la Dr d'Enfer dans Austin Powers). Pour résumer, voici une réplique emblématique : "Commettre une faute est humain ; deux fautes est diabolique ; trois fautes est pakistanais" – wouhouh ! Le contrepoids étant offert par la fille idéaliste de Zakarias, qui explique in fine aux bad guys que le Jihad consiste à tuer le diable à l'intérieur et non massacrer des innocents, avant de se prendre une baffe perdue…
Des bad guys patibulaires.
L'histoire d'amour entre Arjun et Reshma semble prendre le pas de la narration, avant de voler en éclat dès les ahurissantes premières scènes d'action. Ralentis non-stop, hommes de main explosés sous les balles amies, moues revanchardes de Sunny Deol face à l'ordure terroriste rampante. La seconde partie du film se barre en thriller d'espionnage mâtiné de récurrentes bastons irrésistiblement too much (en gros, un adversaire surgit, prend le gentil, le soulève au-dessus de lui en hurlant et le jette à travers la pièce, le gentil se relève, fait de même, le tout à l'aide de câbles qui n'ont même pas besoin d'être apparents pour que l'effet foire, voyez par vous-mêmes sur la photo infra)..
Sunny prend les choses en main (aidé par un câble bien visible, il est vrai).
Clou du spectacle : Sunny Deol paie vraiment de sa personne, puisqu'il se hasarde à quelques pas de danse lors de deux scènes (par ailleurs bien chorégraphiées et aux chansons pas mal foutues), et son attitude guindée achève d'enterrer la crédibilité de l'ensemble.
Un morceau de bravoure made in India.
The Hero est un blockbuster incroyablement basique, l'équivalent hindi des œuvres les plus viscérales de notre Roland Emmerich international. Le public indien ne s'y est pas trompé, le film ayant déclenché quelques polémiques, surtout quant à son discours appuyé par un budget des plus dispendieux (Sunny Deol a empoché dans l'affaire près de 5 millions d'€uros…). Devant l'absurdité de son propos global, mieux vaut prendre le parti d'en rire à gorge déployée tant il constitue un dévoiement honteux de ce qui peut faire aimer Bollywood : l'extériorisation de sentiments exacerbés, au service d'un récit tirant le meilleur parti esthétique de sa simplification.
Reshma et son agneau.
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